Vivre intensément l'instant présent au meilleur de ses compétences
[ Dans cet article, je ne souhaite pas engager un débat scientifique ni une argumentation. Je souhaite exprimer mon avis et expérience personnelle et je n’oblige personne à être d’accord avec moi et apprécie tout commentaire, retour. J’insiste aussi pour dire que bien que cet état de flow soit très stimulé (voir vital) chez les enfants atypiques (HP, TSA, TDAH ... ...) il est aussi recherché et stimulé chez les autres enfants. La seule différence, selon moi, est le degré d’intensité recherché, dégagé, et engagé dans l’activité. Je ne souhaite par contre pas pointer d’étiquette dans cet article et voir l’enfant / l’humain dans son ensemble. Les photos proviennent des mes ateliers de jonglage créatif, publiées avec l'accord des parents. ]
Nous sommes souvent passionnés de quelque chose au fond. Passion dans le sens qui nous empli entièrement, qui nous donne des ailes, nous redonnes le sourire et l’espoir, nous apporte la sécurité ou la motivation. Ce peut être quelque chose de très conventionnel comme la cuisine ou la peinture, de technique comme la mécanique ou le slime, ou tout à fait inhabituel comme la fabrication de cuillères en bois ou la pratique du spectacle de rue dans mon cas ou la recherche sur les langues disparues dans le cas de Joseh Schovanec (1), ou la course à pied pour Forrest Gump, ou encore de faire des bulles de savons sans arrêt pour A. que j'accompagne à l'école.
L’intérêt est différent de la passion, il nous stimule un moment, il nous permet de découvrir certaines choses, de nous ouvrir à de nouveaux horizons, d’apprendre, mais cela durera moins, et surtout ce sera moins intense. Lorsque vous rencontrez un enfant qui vous parle de dinosaures ou de Pokémon, vous sentirez aussitôt si c’est pour lui-elle un intérêt, ou une passion. A l’inverse, une personne pourra me dire être passionnée d’une série TV ou d’un jeu vidéo, de guitare ou de littérature, mais si je n’aperçois pas ce regard pétillant, cette envie d’apprendre et de se mettre au défi, je dirais que c’est un intérêt, une habitude, une réaction, compulsion, une fuite, non une passion qui induit ce flow. Je n’ai d’ailleurs jamais connu de personne passionnée de cigarette, mais cela doit exister ?
La passion est un peu mal vue, de par la distorsion judéo-chrétienne, qui a donné au plaisir un aspect néfaste, mauvais, ce qui amène nombre de personnes à ne pas oser vivre simplement heureux. Mon sourire bêta d’enfant de 35 ans me fait bien voir à quel point les adultes voient d’un mauvais œil le fait d’être juste bien et heureux sans raison « socialement approuvée » selon des codes plus ou moins complexes (être heureux entouré de brouhaha dans un bar est OK, mais pas en regardant le ciel et les nuages magnifiques).
Surtout, pour de nombreuses personnes, comme moi, comme certains enfants que je rencontre, et comme les personnes que j’estime hautement (le guitariste Estas Tonne par exemple, qui est aussi un pratiquant de la méditation Vipassana), vivre passionnément, vivre intensément est un besoin vital. C’est ce besoin d’intensité qui m’amène à chercher et à partager autant ce qui me fais vibrer : comment trouver notre pépite intérieure, comment vivre le flow et la paix (car la recherche compulsive du flow peut amener des conduites tyranniques), et ce qui me questionne depuis mes 16 ans : comment changer le monde ?
Si les personnes passionnées (génies ou pas, neuro-atypiques ou pas) ne meurent pas de ne pas exprimer leur talent, on pourrait dire que leur âme devient fanée : le cœur et les expressions du visages perdent couleurs et joie. C’est là qu’on peut développer des troubles psychologiques, des maladies, ou tomber dans des conduites addictives (pour combler, stimuler un flow perdu, se rassurer, ou fuir). Les bouddhistes parlent aussi de la « perte de l’âme », dont les symptômes sont (2) :
- Individu sur la défensive, susceptibles (on retrouve ici l’hypersensibilité et l’hyperactivité qui est associée),
- Individu fermé d’esprit, qui ne tolère pas le choix des autres (amène, entre autres, aux partis, idées, pratiques et cultes extrêmes),
- Individu qui répète les mêmes erreurs, et en souffre (tu te reconnais ?)
Cela semble banale, mais la réalité est que chacun de nous était dans un flow ininterrompu, état de béatitude, spirituel diront certains, jusqu’à la naissance, ou jusqu’à 3 ans, ou 7 selon les personnes. Certains, je crois bien, y restent toute leur vie, bénis soient-ils !
Rechercher l’intensité pour atteindre le flow
La passion peut donc être une activité éphémère, qui dure 30 secondes, ou un sport qui portera plusieurs décennies. Ce qui compte pour moi est plutôt l’esprit passionné, l’état dans lequel se trouve celui qui est en passion : le Flow
L’esprit passionné c’est l’esprit qui souhaite constamment apprendre, prendre avec joie de nouveaux défis pour se dépasser : sauter de 3 marches et plus 2, convaincre ses parents de sortir alors qu’ils sont fatigués, ou de rester à la maison alors qu’ils souhaitent sortir, et dans mes ateliers : jongler à 2 balles quand on sait avec 1, faire 3 tours avec un bâton du diable avoir réussi avec 2 tours.
L’esprit passionné souhaite tout pour arriver au bout de son projet, aussi futile soit-il : lancer des cailloux dans le lac pour écouter le son et voir les réactions de l’eau, marcher en slalom autour des bouches d’égout, compter le pépin d’une orange, observer ses pensées (ce qu’on appelle méditer dans d’autres cultures).
Lorsqu’on entre dans une activité par passion intense, on active une certaine zone du cerveau, la FLOW ZONE. Alors, on se sent au meilleur de nos capacités (selon les traits particuliers de chacun) : capacités manuelles, sociales (pas selon un code moral ou social, mais selon soi), intellectuelles, physiques (sport, endurance, force...), créatives, capacités d’autonomie, d’adaptation, d’anticipation etc... [On pourrait mettre en parallèle les intelligences multiples (3)]
Une personne dont la force est l’imagination sera à son meilleur dans ce domaine, idem pour celui qui est endurant avec ses capacités physiques. Les capacités stimulées dépendent donc de la « personnalité » de chacun. Cela dit, je crois que la personnalité est une déformation de notre être pur du fait de nos blessures (apparues dès notre naissance, à notre plus jeune âge, au cours de notre vie ou même avant de sortir du ventre), j’accorderai donc à remplacer ce mot par le mot potentiel. Bien que les deux soient liés, je préfère croire qu’il y a en chacun de nous un potentiel, un talent à exercer, et que notre vie doit être utilisée à l’utiliser, l’exploiter, pour être heureux et apporter de la joie. Idéalement, l’école devrait s’employer à aider les enfants à découvrir cela. Je fais partie des enfants qui n’ont pas pu bénéficier de cela à l’école, j’ai donc été me former à l’école de la vie, que je conseille fortement aux 15-25 ans : le voyage en solitaire.
Suit le chemin qui a du cœur
Je crois que chaque enfant (et l’enfant qui vit en chaque adulte) aime par-dessus tout se sentir dans cette zone de flow. Cette zone où notre talent sert une cause juste et bénéfique au plus grand nombre. Cela qui donne un sens à sa vie, n’est-ce pas ? Il y a des passionnés de mécaniques qui fabriquent et réparent des voitures télécommandées, certains trouvent du sens en partageant leur passion, leurs services, et je pense que certains n’y trouvent pas ce sens et auraient intérêt à trouver la voie qui est leur (le maitre de Carlos Castaneda, Don Juan, disait : « Suit le chemin qui a du cœur » (4)) . Je pourrais parler de la même manière des personnes qui travaillent dans des banques, des députés, des caissières, des cyclistes, des sportifs, des femmes au foyer, des apprentis youtubeurs, des militants, des dealer, bref de toute activité. En parlant ainsi, il est indésirable de juger une personne, car c’est à chacun de CHOISIR sa propre direction, toutefois nous avons le DROIT, parfois le DEVOIR, d’éclaircir l’autre sur sa position, lui mettre en face sa situation et son attitude, et cela est possible sans jugement, n’est-ce pas ?
Nous devons comprendre, dans nos trippes et dans notre tête, que l’esprit passionné se nourrit de ce bien être divin de se sentir dans le flow. Il n’y a rien de comparable, et lorsqu’on pratique le yoga, la méditation, la danse ou d’autres arts / pratiques intérieures, c’est aussi pour pouvoir accéder plus facilement à cet état. Avec de l’entrainement, sans effort toutefois, il est possible de ressentir cela même dans des situations désagréables, ou que l’activité est absente, c’est pour cela que je parle d’un état spontané, non de la conséquence d’une activité même si ça peut l’être : c’est un état que certains nomment spirituels, un état hors du temps et du désir du mental de penser pour être. (5)
La joie du défi
Cette nourriture dont je parle est faite de défi permanent.
Se défier soi-même, surtout, surtout.
La compétition c’est un défi contre les autres, et cela peut être un levier, mais ce n’est pas toujours bénéfique. Les personnes passionnées (dont les fameux atypiques) sont addicts du défi envers soi (amélioration de soi, par rapport à soi, selon ses propres critères), mais aussi parfois de la compétition, cela dépend beaucoup de la personnalité et du contexte. Se comparer à une célébrité, une personne de référence, un mentor, un champion, peut parfois aider.
Tout miser sur la compétition peut être nuisible de multiples façon : perte de la confiance en soi car nos parents/enseignants/entraineurs nous poussent trop à un niveau qui ne nous stimule pas / nous sort du flow, et peut amener à des blessures physiques (le corps dit stop puisque la parole n’ose pas) ou psychologique. Ces personnes, sous leurs bonnes intentions, sont guidées par un désir mental, social, de reconnaissance, de pouvoir, et ne sont plus connectées au cœur. Il se trouve que, les êtres passionnés, souvent sensibles, ont vraiment besoin de cette relation venant du cœur.
On voit ça dans le film Vitus où cet enfant surdoué au piano est utilisé par ses parents pour impressionner la société et souhaitent sans lui demander son avis qu’il devienne un prodige. L’enfant fini par saboter son don mais est suffisamment sécure et malin pour ne pas saccager sa vie. Mais ce sabotage de soi arrive souvent, et on en connait tous dans notre histoire de vie, que ce soit nous, un cousin lointain ou un ami d’enfance, n’est-ce pas ?
Dépendance au flow et dépendance à l’activité
C’est aussi ainsi que la passion peut se transformer en addition.
La dépendance à un produit, à un objet, à une activité arrive lorsqu’il y a un biais qui va freiner, limiter, pousser outre-mesure ce qui était un plaisir. Ce qui provoque le flow va devenir gênant pour une personne autour de nous qui va juger cette passion ou nous, sans comprendre en quoi cette activité nous passionne. J’entends très souvent les peurs / incompréhensions de parents au sujet des Pokémon, de Minecraft, ou de Tic-Toc. Ces parents ont-ils essayés de questionner, sans jugement, leur enfant à ce sujet, à pratiquer l’activité avec son enfant ? Pour l’exemple des Pokémons, je vois bien que non, ils n’essayent même pas, et pourtant...
Si l’enfant ressent que cela dérange ses parents, il se trouve tout à fait coincé car il y a ce qui lui apporte un bien être intense avec la loyauté envers ses parents. Ce genre de conflit intérieur, sans répercussion notable au début, deviens au fil des jours et des mois un poison qui développe chez l’enfant de nombreux troubles que l’on sous-estime. Le plus connu est la crise d’ado, mais je pense que cela peut impacter les capacités d’attentions du type TDAH : fuite dans l’imaginaire car trop de pression, d’attentes contre la volonté de l’enfant, qui survit en s’envolant, je connais très bien cela ;).
Donner à votre enfant sa carte de membre
[Cette vision de la famille comme une équipe m’est inspirée du livre « Chasseurs, cueilleurs, parents » que je recommande vivement. (6), la citation sur l'enthousiasme vient d'André Stern (7) ]
AU lieu de ça, l’enfant doit pouvoir se sentir membre de l’équipe de sa famille, membre actif, et le capitaine : VOUS, devez trouver les moyens pour qu’il puisse apporter ses talents pour le bien de la communauté. La capitaine devrait aussi questionner l’enfant sur ses réalisations, ses fiertés, apporter du réconfort ou des encouragements lorsque nécessaire, et SURTOUT, le capitaine doit donner de nouveaux défis à l’enfant, épris de ce FLOW, car sans défi pas de flow, et sans flow beaucoup de contrariétés, de conflit non-nécessaires. J’en fais l’expérience tous les jours avec l’enfant HPI que j’accompagne à l’école et qui refuse toute activité scolaire qu’il ne juge pas assez satisfaisante, et à l’inverse, déploie un enthousiasme contagieux lorsqu’il se sent au top de ses compétences et que je lui donne un défi approprié.
Le défi donné de l’extérieur doit être ni trop facile ou trop dur, au risque d’apporter ennui ou frustrations. La difficulté réside là, car seul l’enfant sait se jauger par lui-même, mais pour jauger vous, vous devez l’observer et vous intéresser, regarder des pro, des tutos, lire des livres. Ou alors inspirez-vous des défis que l’enfant se met à lui-même, ou questionnez-le simplement.
Tisser un lien indestructible
Le capitaine que vous êtes peut, en retour, demander à l’enfant qu’il-elle lui donne des défis concernant des activités qui vous passionne. Ainsi vous créez / renforcerez le lien entre vous. Le lien qui unit une équipe qui avance ensemble vers un but commun. Adieu les buts sociaux, normaux, conventionnels : le principe est que l’amitié et la joie règnent dans votre foyer, n’est-ce pas ? Et, même si vous pouvez être inquiets au sujet de votre enfant, sachez que ce lien solide le retiendra TOUJOURS de conduites addictives, dangereuses. Cela est tout à fait lié aux théories de l’attachement (8). Mon expérience de vie, faite de recherche d’un bon nombre d’extrêmes sans jamais tomber dedans, en est une preuve.
Même si vous n’avez pas l’idéal que vous souhaitiez avant d’être parent, vous créez un lien de confiance, et votre famille restera équilibrée. Oui on peut être geek et équilibré, on peut être fan de skate et équilibré, passionné de trains et équilibré, cela dépend de VOTRE attitude face à ce qui passionne votre enfant. Et cela est bien sur valable pour votre conjoint-e, vos amis, proches, parents.
Jouez donc à ce qui plait à votre enfant, en le stimulant ni trop, ni trop peu, en fonction de ce qui vous stimule vous, mais surtout pour ce qui stimule LE LIEN qui unit votre famille et lui donne un équilibre qui lui est propre. Peut-être rentrerez-vous aussi contre toute attente dans ce flow, emporté par la passion de celui-celle que vous aimez tendrement.
Nicolas - février 2022.
(1)
Article passionnant en anglais. Je souhaite traduire ce passage car il correspond à ce que j’ai vécu et m’a permis d’affronter mes démons intérieurs et d’accepter mon chemin tel qu’il est :
« Ces individus ne souhaitent pas prendre leurs décisions de vie car elles souhaitent se blesser ou blesser les autres autours d’elles. Ne les jugez pas, ne les chassez pas, ne réduisez pas leur chagrin, aimez-les comme ils sont. Ce qui ne veut pas dire de leur permettre de vous emmener dans leur tornade, mais faites leurs savoirs qu’il-elle compte pour vous et que vous désirez le meilleur d’eux »
(3)
https://neurogymtonik.com/intelligences-multiples-renouer-motivation-succes-reussite/
(4)
La «voie du guerrier» est très proche de celle du bouddhisme zen et la fameuse technique du «notdoing», qui permet d'exercer sans agir une action efficace sur le monde, correspond on ne peut mieux au «wu-wei», le «non-agir» que le taoïsme a transmis au bouddhisme zen.
Cette «voie qui a du cœur», proposée par don Juan, produit chez celui qui la suit une sorte de transmutation, un passage au-delà de l'individualité. Castaneda relate à ce propos une expérience personnelle au cours de laquelle il assistera, comme s'il avait été étranger à l'action, à l'éclatement de son «moi» en mille pièces, son être, explique-t-il, se concentrant en un minuscule résidu qu'il décrit comme un foyer de conscience: «It was the awereness itself ».
(5)
Elle offre enfin une voie de connaissance du monde («a path of Knowledge») et une double technique pour y accéder: «Seeing», soit la perception par-delà les illusions sensorielles, et «Stopping the World», l'arrêt de la pensée discursive qui construit constamment l'univers mental que nous habitons et donc, notre perception même.
(6)
(7)
(8)
Merci Nico pour ton article. Qui me fait voir les choses autrement :)
Mais avec beaucoup de justesse...