Les besoins et les envies des enfants
Avoir besoin et avoir envie, est-ce la même chose ? Est-ce que cela vous est arrivé d’avoir envie de chocolat alors que vous avez besoin d’affection ? On a parfois envie d’avoir beaucoup d’argent lorsqu’on ressent un besoin de sécurité, ou un a envie de sortir faire la fête alors qu’on a besoin de se reposer. Parfois, on a besoin et envie de se nourrir sainement, de prendre du temps pour soi, de faire un cadeau à son enfant.
Je crois que besoins et envies ne sont pas du même ordre, que parfois nos besoins et envies sont alignés, parfois pas. Les circonstances de notre journée, notre environnement actuel, nos capacités de conscientiser, font que nous ne pouvons pas toujours répondre à nos besoins, ou au contraire réaliser nos envies (et c’est parfois préférable).
Dans le monde de l’enfant, il me semble que c’est pareil. Lorsque l’enfant est aligné, qu’il se sent sécurisé (psychologiquement, physiquement, émotionnellement), qu’il a l’espace pour exprimer son élan de vie (chanter, jouer, discuter, se confier, s’isoler, courir, créer…) alors ses envies seront ce dont il/elle a besoin et la vie quotidienne sera plutôt douce, épanouissante, agréable. Cela ne veut pas dire que le quotidien sera sans émotions fortes, ni conflit. L’enfant, en grandissant, acquiert une gamme d’expression grandissante (depuis les seuls pleurs du bébé) et les émotions variées nous transmettent aussi un message : les émotions sont l’expression nécessaire pour se réaligner ! Se réaligner afin de retrouver le flow, ce qui signifie d’être en communion avec son élan de vie. Lorsqu’une émotion apparait, on peut entendre « Je n’arrive plus à sentir que ce que je fais est en accord avec mes besoins profonds, aidez-moi ! J’ai besoin d’un câlin pour me calmer et d’une oreille pour me déposer, d’un objet pour canaliser mon énergie ou de bras pour me contenir, d’un jeu pour exprimer ma créativité, d’air libre pour me défouler et respirer, de solitude pour me calmer » …
Voici le genre de situation auxquels les parents sont nombreux à être confrontés. Lorsqu’un enfant demande de jouer aux jeux vidéo, supplie pour un épisode, ou pour acheter un jouet, manger une sucette, posons-nous la question (si on est disponible à cela), de quoi a-t-il besoin ? Lorsqu’on connait l’enfant, on sait assez facilement, non ? D’un lieu tranquille pour se reposer et rêvasser, d’un lieu stimulant où exprimer ses idées, sa créativité ou ses intérêts, d’une équipe de copains avec qui faire des jeux et vivre des expériences riches qui ne sont pas de l’ordre de ce que peut offrir un adulte[1]. Ce sont le lot des expériences que tous les enfants, de toute l’histoire de l’humanité et sur toute la planète, ont eu accès, et il est normal qu’un enfant, ne pouvant le vivre, souhaite le vivre à travers un personnage, un héros, ou la stimulation du sucre[2].
Ainsi, un enfant qui aime Micecraft (jeu de survie et de créativité) pourrait largement préférer aller à la pêche avec son père, avoir un espace et du matériel pour créer ses jeux, être initié à des outils pour construire des choses réelles (mais peut être inutiles selon nous), ou voguer dans un espace naturel vaste ! Il suffit de regarder ce qu’offre le jeu pour deviner le besoin sous-jacent :
- C’est un lieu où l’enfant choisit ce qu’il peut faire … dans un monde où beaucoup de parents sont hyper contrôlants
- C’est un lieu où il peut construire des choses si cool … dans un monde où on lui demande d’apprendre passivement dans une classe
- C’est un lieu où il peut retrouver librement ses amis sans avoir à demander de permission, et faire ce qui leur semble intéressant … dans un monde où les enfants ont de moins en moins de temps / opportunités pour voir leurs potes car ils ont des agendas de ministres ou des parents qui craignent que le pire arrive à tout coin de rue.
On peut voir la même chose chez la Pat Patrouille et tant d’autres choses :
Ce dont ils ont (apparemment) envie | Ce dont ils ont (probablement) besoin |
Regarder la Pat Patrouille, porter les habits avec les têtes des chiens, jouer avec des figurines de chiens. | Une vie d’aventure comme la Pat Patrouille, pleine de rebondissements, d’amitiés, où chacun exprime un talent particulier. |
Démolir des objets à la maison. | Exprimer leur créativité en maniant de vrais outils qu’ils apprennent à maitriser avec le temps et le soutien d’un adulte. |
Sauter sur le canapé sans fin malgré les interdictions, menaces, punitions. | Attirer une attention sincère sur eux, être contenus dans des bras, exprimer un surplus d’énergie, canaliser une accumulation d’émotions, avoir moins de sucres à disposition. |
Porter des Nike. | Appartenir à un groupe, garder des amis, éviter de se sentir rejetés, gagner en prestige social. |
Collectionner des voitures sur GTA, les skins de Fortnite, les badges de Brawl Star. | Gagner en reconnaissance par carence de confiance et d’estime au quotidien. Se sentir compétence dans un domaine en pouvant doser ses efforts librement. |
Lorsqu’on a un regard méfiant sur les écrans et certaines activités des enfants (jeux, inspirations, discussions, conflits, risques, explorations du corps…), notre intuition nous dit « je ne veux pas ça pour mon enfant ». D’une certaine manière, c’est cohérent, on leur souhaite le meilleur et veut leur éviter une vie difficile et douloureuse. Mais demandons-nous sincèrement : qu’est-ce qu’on veut pour notre enfant ? Qu’on soit toujours là pour eux ? Non ! On veut qu’il/elle s’épanouisse et devienne autonome. Et qu’est-ce qui permet à un enfant de devenir épanouis et autonome ? Voici une question bien difficile.
Nous pouvons être sécurisant, présents, aimants, nous pouvons jouer avec eux, leur poser des limites, mais l’enfant peut avoir tout autant besoin d’un doudou à câliner, d’un copain avec qui se rouler par terre, d’un arbre à grimper, d’un tonton avec qui dire des bêtises, d’un tuto youtube pour apprendre à faire du slime ou jouer avec ses cartes pokémon, de pinceaux ou de bâtons pour exprimer sa créativité, d’un adulte qui stimule sa passion, et encore tant de choses qui sortent de l’ordinaire[3], et qui participent à son épanouissement.
Être épanoui, c’est lorsque mes besoins peuvent être réalisés. Cela doit se faire sans attente au début[4] , puis la patience grandit avec l’âge. Alors, ce dont j’ai besoin est traduit dans ce que j’ai envie de faire. L’envie est l’interprétation dans le monde extérieur d’un besoin apparu spontanément de l’intérieur. Lorsqu’on n’est plus aligné (besoin ≠ envie et envie ≠ besoin), nous, adultes, devons aider l’enfant à le retrouver, mais nous ne pouvons pas le forcer. Soyons confiants : tout enfant désire retrouver son alignement, il suffit parfois de pas grand-chose : écouter son problème, parfois en reformulant (mais toujours demander si l’enfant en a besoin de conseil ou pas), lui proposer une activité (de groupe ou en individuel), lui proposer une médiation avec un autre adulte ou enfant qui l’aurait heurté, ou parfois juste en restant dans le silence.
Parfois, ce dont l’enfant a besoin, ou ce dont il a besoin pour se réaligner, ne fait pas partie de ce qu’on peut lui offrir. Heureusement, on dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Surement qu’un autre membre du village se réjouira de pouvoir s’occuper de cette mission, qu’il soit un enfant ou un adulte, il suffit de demander. Gardons en tête que ce genre d’ajustement peut être nécessaire plusieurs fois par jour, voire plusieurs fois par heure, d’où l’intérêt de créer un environnement bienveillant, satisfaisant, stimulant, créatif, spacieux, pour que l’enfant puisse vivre ses besoins et canaliser ses envies.
De nos jours, on est devenu extrêmement créatif pour catalogues les maladies que développent les enfants qui n’ont plus du tout accès à leur flow, à leur alignement, et développent logiquement des troubles. Ce catalogue de noms masque le véritable problème : les enfants souffrent de ne pas pouvoir faire juste ce dont ils ont vraiment besoin. Très tôt, l’enfant apprend qu’il ne pourra pas exprimer ses besoins sans se faire reprocher, mépriser, moquer, humilier, frapper, gronder, sermonner, moraliser, ennuyé, et devine que le but du jeu sera de gagner le plus possible d’accès à ses envies, comme poussé par un instinct de survie. Pourtant, survivre, ce n’est pas vivre. Car oui : jouer est pour l’enfant un besoin spontané, instinctif, aussi important que de manger et boire. Je parle ici du jeu libre (pas d’activités menées par des adultes hyper contrôlants !), je parle du type de jeu qui est choisi par l’enfant et sa bande, dont les modalités sont choisies par l’enfant et sa bande, ce type de jeu que l’enfant et sa bande commencent quand ils veulent et arrêtent quand ils veulent, ce type de jeu dont l’adulte ne se mêle pas.
Souvenez-vous de vos années d’enfance : quelles étaient les moments les plus doux et joyeux ? Vous aurez peut-être un aperçu de ce dont votre enfant a besoin.
[NOTE : En cherchant une image pour illustrer cet article, j'ai fait une recherche sur le jeu libre. Les photos qui apparaissent ne montrent que des bébés et des enfant de moins de 4 ans, faisant d'ailleurs des jeux supervisés par des adultes, donc pas libres . Je me demande : est-il conventionnellement admis, même dans le monde des éducateurs, pédagogues, et parents avertis, que le jeu libre convient seulement aux jeunes enfants, car après cela il DOIT forcément entrer dans l'enseignement obligatoire et son lot de contraintes non-demandées par l'enfant ? Est-ce qu'on n'a pas besoin de liberté dans ses jeux par la suite, qu'on soit ado ou adulte ? Quel tabou cela révèle-t-il ? Le fait que jouer est une mauvaise chose, pernicieuse, qui amène aux jeux-vidéos, l'enfer, la bêtise (dogme ancien à déconstruire de toute urgence) ? Si je jeu est important pour l'enfant, est-ce qu'on considère que l'enfance s'arrête à 4 ans ? Lorsque je parle de développer l'esprit critique chez les jeunes générations, c'est aussi en constatant l'incroyable incohérence des adultes, mêmes dotés de bonnes intentions. J'en fait d'ailleurs appel à votre esprit critique pour questionner mes propres propos ;) ]
Nicolas Delarose - 2024
[1] Nombre de jeux ennuient les adultes et c’est tout à fait normal ! Les enfants ont besoin de jouer avant tout avec des copains, les parents n’ont pas cette fonction primordiale bien qu’ils soient, selon moi, bienvenus, mais dans des fonctions spécifiques (arbitres, gestion du temps, gestion logistiques…)
[2] Attention, dans son flow, l’enfant ne nourrit aucun comportement addictif, car son plaisir est « sain ». Les sucres conditionnent le cerveau, de même que l’appel des écrans (plus stimulants que le réel) ou de la nourriture grasse (chips, pop corn…)
[3] Beaucoup d’enfants ne se retrouvent pas du tout dans les activités conventionnelles qu’on propose aux enfants comme le foot, la danse ou le piano, et demandent à leur entourage de faire preuve de créativité, d’inventivité, pour offrir des environnements d’exploration et de créativité idéals, sur-mesure. Les terrain aventure ou les camps de programmation / modélisation 3D sont des exemples d’activités extraordinaires.
[4] Épargnez-moi le discours sur la frustration "nécessaire" en éducation, la vie fournit naturellement suffisamment de frustration pour en générer d’avantage, cet argument me semble parfois une violence ordinaire comme tant d’autres décriées de nos jours.
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